Après nous avoir cuisiné des dorayakis chez Naomi Kawase (les délices de Tokyo), voici que Kilin Kiki, 75 ans, nous sert le thé dans un film de Tatsushi Ōmori (à la filmographie recensée rachitique), "Dans un jardin qu'on dirait éternel" — dans la grande tradition des films de bouffe asiatiques, en mode métaphore philosophique de la vie. L'apprentie est cette fois Haru Kuroki, 30 ans au compteur, qui joue donc un intervalle d'âge de 24 ans (de 20 à 44) ; idem pour la sensei du tcha ; on refait vaguement la coiffure pour signifier le temps qui passe : l'avantage des Japonaises, de toute façon, est que ce n'est pas trop la peine d'investir sur les effets spéciaux pour truquer l'âge.
En V.O., le titre donne Nichinichi Kore Kôjitsu, soit la formule-mantra qui revient tout au long des 1h40 de film, "chaque jour est un bon jour". C'est beaucoup mieux que cette histoire de jardin qui est peu présent en réalité. La cérémonie du thé est une métaphore du mouvement toujours répété jusqu'à l'absurde perfection. On apprend cela en répétant les gestes des années durant, jusqu'à atteindre un nirvana que ne peuvent manifestement égaler que les petits gâteaux servis avant sur le tatami. Il y a ce côté doux-amer et totalement investi à la japonaise, le dépouillement de la vie comme but ultime, le geste codifié à l'excès pour rechercher le sens (de la vie, comme tout le monde). La durée fort étendue a ici toute son importance (et permet aussi d'aborder le deuil sous multiples formes). C'est une ode à l'accomplissement par la persévérance, en somme. Tout japonais, malgré la modernité des années 1990 qui voient déjà poindre la crise s'étendant jusque dans les années 2010 (et où certes les filles font des études, mais un bon mariage arrangé et deux gosses dans la foulée, c'est quand même mieux) ("entre-tradition-et-modernité"™®©).
Diffusé avec deux ans de décalage en France (et vu à sa cinquième semaine : la seule salle des Halles la diffusant encore était bien pleine, en milieu d'après-midi), ce n'est pas un grand film, mais ça se laisse bien regarder, dans le dénuement relatif du propos — comme un jardin japonais (qu'on dirait éternel, etc.).